“ Ce baiser précieux et fragile que maman me confiait d’habitude dans mon lit au moment de m’endormir il me fallait le transporter de la salle à manger dans ma chambre et le garder pendant tout le temps que je me déshabillais, sans que se brisât sa douceur, sans que se répandit et s’évaporât sa vertu volatile et, justement ces soirs-là où j’aurais eu besoin de le recevoir avec plus de précaution, il fallait que je le prisse, que je le dérobasse…“
Voici donc le début d’une des plus longues phrases de Proust que l’on croise dans le premier tome de la Recherche alors que paradoxalement ce “baiser du soir“ que Marcel attend de sa mère dans sa chambre n’existe justement que par son absence !
Celui de Gustave Klimt est lui bien présent sur les murs du palais du Belvédère à Vienne ; la sublime peinture à l’huile sur toile recouverte de feuilles d’or est la plus connue du peintre symboliste.
On en découvre davantage durant les 58 minutes de la vidéo que le maître du pop art Andy Warhol réalisa en 63 dans son atelier de New York “la Factory“, filmant en noir et blanc des personnages s’échangeant de longs baisers passionnés.
On s’en tient donc dans le récit proustien à de naïves suppositions : la maman de Marcel embrasse délicatement son fils sur la joue ; le tableau lui est tout à fait explicite : Gustave coiffé d’une couronne de feuilles de lierre, se penche et enserre sa compagne agenouillée Emilie Flöge pour lui faire un gourmand bécot autrichien.
Klimt ne semble pas craindre une possible maladie du baiser** comme, célibataire aventureux, je l’appréhendais jadis lorsque, ayant délaissé à regret (faute de combattants) au début de mes études un jeu à cinq cartes où j’adorais “filer “ les liserés des honneurs d’un paquet du Maître Cartier Grimaud, pour m’orienter naïf autodidacte vers un jeu plus intellectuel dans lequel quatre fières dames (Judith, Rachel, Argine et Pallas) attendaient patiemment que je leur fasse un habile baiser***
Oui je crois que le baiser est une gourmandise qui comme, l’assurait José Arthur, ne fait pas grossir !
*Toute ressemblance avec la romance (Just a Kiss) de Ken Loach est purement fortuite.
**Mononucléose (maladie virale se transmettant par la salive).
*** Technique du bridge qui consiste à laisser délibérément une carte faire une levée, pour éviter de donner la main à l’adversaire dangereux.